La chérophobie, la phobie du bonheur
Il y a des phobies pour tout. Mais quand j'ai lu pour la première fois, il y a une dizaine d'années, le nom de chérophobie, la phobie de la joie, de la gaiété et plus globalement, du bonheur, j'ai d'abord pensé à une phobie humoristique telle l'hippopotomonstrosesquippedaliophobie (la phobie des mots longs) ou l'eibohphobie (la peur des palindromes). En effet, il y a des gens qui ont des comportements destructeurs et qui n'arrivent pas à être heureux, mais ce n'est pas une aversion pour le bonheur, ça. Surtout qu'on ne parle pas juste d'une simple peur mais d'une vrai phobie. Cela existe-t-il vraiment ?
Bien que non incluse dans le DSM-5, un des référenciels des maladies et troubles mentaux, la chérophobie est néanmoins une réalité. Cependant, la définition qu'on nous donne peut être un peu piégeuse car ce n'est pas le bonheur qui est le sujet de cette phobie mais ses conséquences. Les chérophobes croient en un juste retour des choses, à l'équilibre, à l'échange équivalent, au karma à deux sens. Si je suis heureux, plus tard, je vais être malheureux et plus je serai heureux, plus je serai malheureux. Plus haut je suis dans la joie, plus dur sera la chute. Telle la logique des chérophobes. Et on comprend alors aisément pourquoi ils craignent les moments de bonheurs ; car ils auront toujours cette appréhension de devoir souffrir par la suite. En cela, les chérophobes ne sont pas forcément des personnes tristes, fatalistes ou dépressives (par opposition au bonheur), même si c'est souvent le cas (de même qu'elles sont souvent repliées/renfermées sur eux-même, plutôt introverties). Cela peut être des personnes avec une tempérance extrême, se refusant de considérer les choses pour acquises, relativisant tant leurs échecs que leurs succès.
L'origine de la chérophobie est diverse mais vient souvent d'un traumatisme où, à la suite d'une phase de bonheur, les chérophobes ont vécu un enfer. C'est, par exemple, une phase où ils sont très heureux en couple ou en famille, puis ceux-ci se déchirent et tout par en vrille. Ils vont assimiler que c'est parce qu'ils se sont trop adonnés au bonheur, ils ont été trop heureux durant cette phase que c'est pour ça qu'ils doivent être puni et malheureux maintenant. C'est aussi, on sort d'une phase difficile, là, on a un espoir, on voit la lumière au bout du tunnel, la vie semble nous sourire enfin, on y croit et paf, désillusion, on nous coupe l'herbe sous le pied, on nous casse les rotules, on revient à la case départ ou pire et ils vont se dire que c'est à cause de leur joie, ce sentiment d'enfin sortir la tête hors de l'eau, cette gaité fugace, qu'ils sont désormais si déçus et frustrés. Donc ils ne doivent pas être joyeux. Évidemment, ici, je parle d'un seul événement avec une forte intensité et charge émotionnelle mais ça peut aussi être une longue succession de va-et-vient et d'ascenceurs émotionnels qui peut amener à ce biais. Et c'est donc cette crainte qui va empoissoner le moment de joie, dont ils ne savoureront plus vraiment cette phase. Sauf qu'ils sentiront fortement lorsqu'ils sont dans la tristesse, la mouise, dans les soucis et les problèmes ce qui fait qu'en général, ils sont souvent fatalistes et n'ont pas une vie facile. Des psychothérapies existent pour essayer d'enrayer cette programmation. Ils essaient de déconstruire cette idée de cycle ou d'échange équivalent, notamment en prenant conscience d'une triste réalité qui est que des gens ont accès au bonheur alors qu'au vu de leur comportement, de leurs actions, ils ne devraient pas et que des personnes qui ont toujours bien agi toute leur vie n'y ont jamais eu accès. Le chérophobe dira que dans son cas, cela s'est toujours avéré et il faudra lui faire comprendre que cela n'en fait pas une règle absolue, éternelle et généralisée et que des millions de contre-exemple existent. Et même si on accepte l'idée de cycle, il faut éradiquer cette crainte pour que la personne puisse savourer pleinement ce que lui appelera surement des parenthèses mais qui sont des parties intégrantes de sa vie.
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