Au comptoir du savoir

Disclaimer:

J'insiste sur le fait que ces savoirs ont été valables lorsque je les ai écrit mais que depuis, ils ont pu changer.

Le secret bancaire suisse

26 octobre 1932, 16h10, Champs Élysée, Paris, une vaste descente de police s'organise. Mené par le commissaire Barthelet, les policiers pénètrent dans une des succursales de la Banque commerciale de Bâle. À l'époque, la France n'aimait pas voir partir ces capitaux à l'étranger. Pour dissuader les gens d'une telle pratique, une taxe de 20% était appliquée pour tous revenus de placements à l'étranger. La plupart des banques coopéraient avec les autorités fiscales mais les banques suisses se veulent discrètes, en leur opposant le droit d'obligation et le droit civil sur la discrétion entre les contractants  et la protection de la propriété privé. Du coup, la France soupçonna de nombreuses personnalités françaises d'évasion fiscale en tenant des avoirs en Suisse sans les déclarer. Ce coup de filet est alors lancé et la pêche fut plutôt bonne. Dès la descente, ils tombèrent sur un sénateur qui n'avait rien déclaré mais surtout 10 carnets qui listaient pas moins de 2000 noms d'évadés fiscaux.  Ils saisirent également 245 000 francs en liquide (soit environ 160 000€ d'aujourd'hui). La rumeur de cette descente se répand et les médias cherchent à savoir les noms des coupables. Le Ministre de l'Intérieur se refuse à divulguer les noms et le Ministre des Finances jure qu'il n'a pas eu cette liste donc il l'ignore. Leurs vaines résistances ne firent que repousser l'inévitable, le député Fabien Albertin demanda le 10 novembre 1932 à faire un discours à l'Assemblée Nationale. Ancienne avocat, il fait une superbe plaidoirie et énonce aux comptes gouttes de son discours les noms des personnes les plus illustres figurant sur ces carnets. 3 sénateurs, une douzaine de généraux, de nombreux magistrats et même deux évêques. Le privé n'est pas en reste car on a de grands industriels comme les frères Peugeot, des directeurs de journaux (le Matin et l'Ami du Peuple). Il dénonce avec ferveur et verbe l'exil fiscal des plus riches et les paradis fiscaux qui les assistent au lieu de les dénoncer comme ils le devraient.

Cette intervention lança une immense crise sur fond de scandale financier. La France demanda des comptes à la Suisse et exigea d'avoir accès à l'intégralité des livres de la Banque commerciale de Bâle. De nombreux français ayant des comptes en Suisse les retiraient rapidement et face à l'ampleur donnée par la presse à cette affaire, même les clients étrangers, ne voyant plus le système suisse comme fiable, le dessertaient. Car malgré leur "discrétion", cela ne faisait guère le poids face aux tribunaux et aux pressions exercées par les différents pays d'Europe qui suivirent la France dans sa démarche. Les banques suisses connurent de fortes difficultés suite à ces retraits massifs. La Banque d'escompte de Genève ne tiendra pas et fera faillite. Les banquiers suisses réalisent qu'ils ne sont pas immortels et que comme toute entreprise, ils peuvent couler et disparaître. Ainsi, face à ces événements, ils demandèrent une réaction des autorités suisses pour les protéger. Cela aboutit à la nouvelle loi bancaire de 1934 qui, en son article 47, sacralisa le secret bancaire et le fixa dans la loi pénale. Désormais, toutes banques suisses qui divulguera des informations sur ses clients seront accusées d'actes criminels et ce, même si c'est une succursale à l'étranger. 

Le secret bancaire est donc une conséquence de l'action française. C'est beau. Mais bon, du coup, aujourd'hui, il y a toujours autant d'évasions fiscales. Donc ce n'est pas vraiment comme si notre action avait porté ses fruits. 

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